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Chasse aux visas dans la jungle urbaine de Téhéran (suite et fin)

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Depuis Ispahan, notre coin de paradis du voyage, nous sommes obligés de remonter en bus à Téhéran pour nous lancer dans la chasse aux visas pour l’Asie centrale. Les nouvelles des cyclistes nous précédant ne sont pas bonnes. Le Turkmenistan est quasiment fermé, très peu de voyageurs réussissent à obtenir le précieux visa de 5 jours permettant de traverser un désert particulièrement aride et arriver en Ouzbekistan. Impossible de passer par l’Afghanistan trop dangereux, pas de bateau sur la Caspienne pour rejoindre le Kazakhstan depuis l’Iran, difficile et aléatoire d’aller chercher un bateau à Bakou… Beaucoup se sont résolus la mort dans l’âme à prendre un vol pour le Kazakhstan. Nous nous donnons donc le maximum de chances de réussir en anticipant. Un vrai parcours du combattant…

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Nous prenons le bus de nuit et dès notre arrivée, nous passons faire une demande de lettre de recommandation à l’ambassade de France dans le centre de Téhéran au petit matin. Puis nous préparons tous les formulaires, photocopies, photos sans foulard cette fois, pour faire la demande visa de l’Ouzbekistan et du Tadjikistan, et demander le visa de la Chine dans le nord de Téhéran,

Pendant notre recherche de visas, nous sommes hébergés par deux médecins, l’un dans le centre, l’autre à 25 km dans le nord de l’agglomération près des ambassades d’Asie centrale. Tous deux ont en commun d’avoir une passion pour les voyages, une grande culture et ouverture d’esprit, d’être célibataires et d’avoir toutes les peines du monde à se faire payer par leurs hôpitaux respectifs. Ils sont indemnisés 1€ par patient et enchaînent les consultations à un rythme effréné.

Au centre de Téhéran, Shahar, radiologue, la cinquantaine, travaille dans plusieurs hôpitaux, enchaîne les gardes de nuit pour parvenir à gagner un salaire décent. Il vit dans un capharnaüm indescriptible. Ses 20 ans, il les a passés au front dans la guerre Iran-Iraq, dans un hôpital de campagne plusieurs fois bombardé.

Chez Shahar

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Nous récupérons la lettre de recommandation à l’ambassade mais trop tard pour pouvoir monter dans le nord de Téhéran pour déposer les demandes de visas.

Nous en profitons pour partir dans le nord de Téhéran avec armes et bagages.

Pour votre culture, nous vous joignons la copie de la lettre de recommandation qui nous a valut 3 jours d’attente.

Lettre de recommandation de l’ambassade de France

Et là, autre parcours du combattant, survivre à vélo à Téhéran ! C’est une ville de 9 M d’habitants, 15 M avec son agglomération, autant que toute l’Ile de France, dotée de 5 modestes lignes de métro avec une fréquence de bus de province. Imaginez donc le niveau de trafic, d’embouteillage, de bruit, de pollution et ce dans une ville présentant un dénivelé de plus de 600m du nord au sud. Téhéran est une parfaite illustration des conséquences du tout voiture, une mobilité totalement inefficace, une perte de temps considérable pour tous avec un impact économique sans doute monstrueux. Tout le monde nous avait déconseillé d’y circuler à vélo mais c’est finalement pas si mal. Plus rapide que le bus et même que le taxi, plus de desserte que le métro et une autonomie complète dans nos déplacements. Entre l’ambassade de France et les ambassades d’Asie centrale, près de 25 km à parcourir avec 400m de dénivelé. Une épreuve qui demande attention, concentration, anticipation mais surtout une forte détermination. Car en fait dans la circulation sans règle formelle de la capitale, tout est affaire de négociation. C’est étonnant, effrayant, époumonant mais rarement dangereux car les vitesses de véhicules sont par la force des choses relativement modestes, sauf dans les bretelles autoroutières. Les automobilistes adoptent finalement un comportement de cycliste : trouver le moindre espace disponible, se faufiler, faire preuve d’opportunisme pour adopter la trajectoire la plus rapide, remonter en contre-sens quand c’est nécessaire. La densité de trafic est très importante et la capacité des intersections est paradoxalement d’une fluidité bien meilleure que celle des carrefours à feux à l’européenne.

Principal inconvénient, la recherche d’oxygène. Si les athlètes viennent faire des stages en altitude à Val d’Isère pour apprendre à l’organisme à faire face au déficit d’oxygène, nous venons le faire à moins cher à Téhéran. Le pire du pire, les motos qui démarrent en trombe et les bus surchargés qui n’ont jamais entendu parler d’Euro VI.

Dans la jungle urbaine de Téhéran

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Ca y est, armés de tous nos papiers, nous pouvons faire la demande de visas à l’ambassade d’Ouzbekistan, du Tadjikistan et de Chine.

Nous sommes invités par Cambiz, généraliste, environ 35 ans qui travaille également dans plusieurs hôpitaux et monte un business de médecine d’esthétique faciale et ventrale pour arrondir ses fins de mois. Il a une grande culture historique et politique et nous en profitons bien pour en savoir plus sur l’Iran.

Cambiz s’amuse un peu de nos recherches éprouvantes. Si la chasse aux visas est pour nous éprouvante, elle se transforme pour eux en un véritable enfer quand ils veulent voyager. Malgré leur niveau d’études, leur qualification et leur revenu supérieur à la moyenne, les pays occidentaux leur demandent un dépôt bancaire de 20 000 € comme garantie de retour lors de leur voyage. C’est à la fois humiliant et contraignant pour Cambiz qui a mis l’essentiel de son épargne dans l’achat de son cabinet.

Nos deux médecins portent également un regard assez désabusé sur leur société. La pression religieuse et le contrôle social génèrent à leurs yeux des pathologies associées : une course au matérialisme, à l’argent, au mariage de fortune, des relations hommes/femmes compliquées, une compétition à la beauté souvent maladive. En l’absence de lieux pour se rencontrer, de temps pour échanger, l’apparence est un capital indispensable. Pour les femmes elles se concentrent sur quelques centimètres carrés visibles publiquement. Iraniens et Iraniennes font partie des premiers consommateurs de produits de beauté et de chirurgie esthétique.

Avec Cambiz, médecin généraliste, au dessus de Téhéran, jour d’anniversaire de Brigitte

Téhéran dans son anonymat de 15 M de personnes est cependant nettement moins soumise au contrôle social que la province. Des couples se tiennent par la main, des femmes sortent seules, impensable dans bien des villes, le foulard recule sur la tête, le tchador est moins fréquent à la sortie des lycées. « Ca n’est pas la loi qui changera, c’est le comportement de tous les jours qui en fera changer l’application » nous disent-ils tous deux.

Dans l’attente de nos visas de Chine, Tadjikistan et Ouzbekistan, nous repartons pour 6 jours au sud, vers les zones désertiques de Yazd et Kashan tant que les températures ne sont pas trop élevées et que le ramadan n’est pas commencé.

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Retour à Téhéran depuis Yazd par le bus de nuit. C’est le début du ramandan pour les Chiites. Nous ne sommes pas bien frais mais remontons dans le nord chercher notre visa Chinois. C’est le matin, la pollution et le trafic sont encore limités, une chance. Tout se passe comme sur des roulettes, bien organisés ces Chinois mais malheureusement nous n’obtenons que 2 mois. Il faudra faire de nouvelles démarches en Chine. Bon ça y est nous en avons 1 sur 4 !

Nous reprenons le vélo pour monter à l’ambassade du Tadjikistan avant la fermeture et là catastrophe, le pays a décidé de passer au visa électronique et toutes les délivrances de visas sont bloquées. Un spécialiste vient installer le logiciel et former le personnel la semaine suivante, pour peut être reprendre les délivrances du visa dans une semaine, ou deux ou peut-être un mois… Rappelez lundi !

Nous nous écroulons de dépit et de fatigue dans un parc public avant de décider ce que nous allons faire… Nous y croisons des amis cyclistes français dans les mêmes tourments.

Le lendemain c’est l’anniversaire de Brigitte et nous nous préparons un bon petit repas avec notre hôte.

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Nous sommes à pied d’œuvre à l’ambassade d’Ouzbekistan dès 8 heures pour croiser d’autres amis cyclistes de Chambéry que nous avions accompagnés lors de leur départ. Quelle joie de les revoir !

L’ambassade ouvre plus tôt que prévu et à 9 heures, ça y est nous avons notre 2ème visa, c’est la fête.

Nous pédalons jusqu’à l’ambassade du Turkmenistan pour demander notre visa de transit, c’est l’expectative, à peine 20% des cyclistes ont réussi à l’obtenir. Ca y est le dépôt est fait. Nous devons attendre une dizaine de jours avant de savoir si nous l’avons, ou peut être 20 ou 30…

Dans l’attente, nous reprenons enfin les vélos pour revenir à Ispahan et continuer notre voyage vers Shiraz. Nous quittons notre ami Cambiz à regret, nous avons les larmes aux yeux, lui est très ému et sans doute un peu envieux de nous voir partir. Mais nous quittons en revanche Téhéran et sa pollution sans regret en espérant ne pas avoir à y remettre nos roues...

Nous retrouvons la famille de Réza. Le temps d’arriver et c’est un Skype pour l’assemblée générale d’Ecomobilité et pour la remise des prix des Talents du vélo avec le Club des Villes Cyclables.

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Nous revenons de Shiraz par le bus de nuit. Je file à l’ambassade du Tadjikistan pendant que Brigitte attend dans un parc, encore 15km de montée polluée et en 45 mn je récupère le visa Tadjik ! J’ai le temps de passer à l’ambassade Turkmène, je donne les passeports, espoir… Non le visa n’est pas encore attribué mais pas de non définitif. Nous reprenons les vélos direction Mashhad en espérant le récupérer.

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Après une centaine de coups de fil, nous parvenons à avoir l’ambassade Turkmène. C’est un OUI ! Nous avons même le numéro d’enregistrement. Il n’y a plus qu’à aller le chercher à Mashhad avant qu’ils changent d’avis.

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Nous sommes à pied d’œuvre à Mashhad accueillis par Amin et Mona, un jeune couple de cyclistes très sympa. Comme nous nous y attendions, le consulat est fermé, jour férié en commémoration de la mort de l’Imam Ali, le 1er Imam des Chiites.

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8h30, nous sommes à l’ambassade mais le responsable des visas n’est pas encore arrivé.

9h, nous tendons nos passeports, photos, photocopies. Il nous demande les dollars, c’est bon signe…

9h10, notre billet de 50 $ est trop vieux, antérieur à 2006 et non valable au Turkmenistan, nous filons chez l’agent de change du coin. A côté, une centaine d’Afghans attendent devant leur ambassade… Si c’est compliqué pour nous, c’est une autre paire de manche pour eux. Des femmes sont installées par terre à faire manger les enfants, Les gardiens les houspillent.

9h30, nous tendons un billet flambant neuf de 50$.

9h40, ça y est nous avons tous nos visas, c’est la fête ! Champagne, mais euh il n'y a pas de champagne ici, alors un verre de bière, non pas de bière non plus. Alors on va se taper la cloche dans un bon resto, euh non c’est le ramadan. Bon alors ce sera un grand verre d’eau ce soir !

Nous nous plaignons mais il faut garder en tête que pour nos hôtes, obtenir un visa français c’est un an de tracasseries administratives, une grande majorité de refus et des fonctionnaires pas forcément très arrangeants.

Suite aux prochains numéros !

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