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Le pays où des chauffeurs de taxi cyclophiles récitent de la poésie

D’Ispahan, nous reprenons enfin les vélos après notre chasse aux visas pour nous rendre à Shiraz. Nous retrouvons avec bonheur notre ami Réza et sa famille. Avant de partir, il tient à nous faire partager une petite sortie à vélo avec un groupe de cyclistes de l’agglomération. Une quarantaine de personnes, jeunes et « vieux » enfin comme nous, qui débutent dans les sorties à vélo. Pas une femme, les groupes ne peuvent pas être mixtes, et tout le monde en pantalon, le short est interdit malgré la température qui monte. Surprise, la Zayandeh Rud, la bien nommée « rivière qui donne la vie » et traverse les ponts d’Ispahan est à sec pour 6 mois. L’eau précieuse est gardée pour l’approvisionnement en eau de la ville et pour l’irrigation.

Quelques heures plus tard après le « vrai départ », nous remontons progressivement en altitude pour atteindre des hauts plateaux entre 2000 et 2600 mètres où nous allons passer une des plus belles semaines de vélo du voyage dans des paysages magnifiques. Le massif des Dena se profile tout près à plus de 4300m avec ses sommets encore enneigés. Le thermomètre descend, nous remettons même avec plaisir une petite polaire le soir, quel privilège ! Les nuits en tente sont fraîches et réparatrices après les longues soirées chez nos hôtes. Par endroits l’eau coule et la végétation réapparaît alors que tout autour ne poussent qu’épineux et plantes grasses. De larges troupeaux de chèvres et de moutons sont conduits par des pasteurs semi-nomades qui estivent pendant la belle saison en se déplaçant d’un endroit à un autre. Ils ont de grandes tentes en toile, des réserves d’eau et des enclos pour la nuit. Plus haut, près des sources apparaissent les arbres fruitiers. De gigantesques exploitations de pommiers, de noyers s’étendent sur les collines, chaque arbre est planté au milieu d’une petite vasque de terre qui reçoit régulièrement l’eau provenant des réseaux d’irrigation. Ce développement agricole permet une certaine prospérité à la région mais il reste très dépendant de la ressource en eau et très sensible au réchauffement climatique. Plus loin le lac de retenue est déjà presque un souvenir et le canal est à sec depuis longtemps.

Hauts plateaux et sommets enneigés

Berger et son troupeau, en altitude pour quelques mois

Il lui a tapé dans l’œil !

La route devient piste, les pistes se croisent et se recroisent, nous nous perdons dans ces grandes étendues. Le plus simple est de prendre un cap et de naviguer entre les massifs.

Quand le gps devient utile !

Plus haut encore, les fruitiers font place à de grandes étendues de blé. L’activité bat son plein ici, les moissons sont en cours et le repiquage du riz se prépare. Les plants vert tendre poussent sur de toutes petites étendues, permettant ainsi au blé de terminer de murir. Les champs moissonnés sont systématiquement brûlés. La chaleur est considérable près des champs en feu et l’air est saturé de particules en suspension ; Nous qui comptions respirer après la pollution de Téhéran ! Ils sarclent ensuite le champ, remontent de petites buttes de terre, mettent en eau les parcelles et font un dernier sarclage Ensuite commence le dépiquage et le repiquage, les pieds dans l’eau, toute la journée. Autant dire qu’ici, le ramadan est peu observé tant l’activité est intense. Le midi, les paysans se retrouvent avec leur tracteur autour d’un arbre ombragé, généralement le nôtre, mais n’ont guère comme nous le temps de faire une petite sieste réparatrice. Sur la route, nous sommes régulièrement escortés par des agriculteurs à moto assis sur le manche de leur pelle (oui la moto est le premier mode de déplacement du monde agricole bien devant le tracteur) et nous posent invariablement les mêmes questions. C’est bien pour travailler notre Fârsi mais les réponses ne sont pas toujours dans l’ordre.

Dans la vallée, le riz remplace progressivement le blé après la moisson. Partout autour c’est désertique

Repiquage du riz

Les chaumes partent en fumée et le ciel se charge de particules

Nous redescendons à 1700 mètres et la température remonte. Nous nous arrêtons aux heures les plus chaudes de 13h à 16h. A 18h il fait encore pas loin de 40°. A 20h encore 35° mais les nuits sont plus fraîches.

Persépolis est un site fabuleux. Au sommet de sa gloire, elle était la capitale d’un empire qui s’étendait de la Chine, l’Inde à l’Egypte, la Grèce et une partie des Balkans. Chaque empereur Darius, Xerxès, Artaxerxès ont ajouté leur palais aux édifices précédents. La frise des escaliers qui montait à la salle d’audience représente tous les peuples de l’empire apportant leur tribut. Tout a été dévasté avec l’arrivée d’Alexandre dit le Grand, ici Alexandre le Maudit qui a pillé le trésor –il lui a fallu paraît-il 3000 chameaux pour tout emporter-, incendier l’ensemble du palais et brûler les textes sacrés de Zoroastre. Quand Macédoine et Grèce se disputent sa paternité, les Iraniens le voient comme un barbare du même tonneau que les Huns.

Une vue générale de Persepolis

Les représentants des différentes régions apportent des dons à l’empereur à l’occasion de la nouvelle année

Audience auprès de l’empereur Xerxès

Nous passons la soirée et partageons notre repas avec un autre Réza, chauffeur de taxi, du même âge que nous, et qui réalise le rêve de ses 20 ans de voyager à vélo. Un chauffeur de taxi pas banal qui parle anglais et japonais et a comme beaucoup d’Iraniens une passion pour la poésie, particulièrement pour celle d’Hafez et Sa’adi, nés comme lui à Shiraz, quelques 7 siècles plus tôt. La langue est belle même si nous n’y comprenons goutte mais nous retrouvons des traductions de ces textes quelques jours plus tard. Ils y chantent l’amour, le vin et la vie dans des termes pas vraiment islamistes.

L’une de Sa’adi qui figure à la porte de l’ONU est d’un humanisme que Montaigne n’aurait pas renié :

Les êtres humains, les enfants d'Adam, sont les parties d'un corps,

Ils sont issus de la même essence,

Lorsqu'une de ces parties est atteinte et souffre,

Les autres ne peuvent trouver ni la paix ni le calme,

Si la misère des autres te laisse indifférent,

Et sans la moindre peine ! Alors :

Il est impensable de t'appeler un être humain.

Une autre d’Hafez aurait bien pu inspirer un Baudelaire :

L'odeur des cheveux

Je suis enivré sans arrêt

par le parfum de tes cheveux.

Je suis détruit, à chaque instant,

par tes magiques, traîtres yeux.

Après d'aussi longue patience,

mon Dieu ! verrai-je enfin la nuit

Où j'allumerai ma chandelle

dans l'arcade de tes sourcils ?

Ma clairvoyance est une ardoise

que je chéris matin et soir,

Car elle est comme le miroir

qui reflète ta mouche hindoue.

Si tu veux embellir ce monde

pour autant que l'éternité,

Dis au vent d'écarter ton voile

de ta face, pour un instant.

Si tu veux abolir la loi

qui rend ce monde périssable,

Crève l'écran de tes cheveux :

il s'en répandra mille vies.

Le vent et moi sommes deux gueux,

des vagabonds, des inutiles.

Nous sommes enivrés tous deux

par ton parfum et par tes yeux.

Bravo ! Hâfez s'est libéré

de ce monde comme de l'autre.

L'humble poussière de ton seuil

est la seule chère à ses yeux.

La dernière de Hafez qu’il nous récite, Khayyam, est celle d’un esprit libre comme Rabelais, qui chante l’amour, le vin et les jardins

Cette roue sur laquelle nous tournons

Est pareille à une lanterne magique.

Le soleil est la lampe, le monde, l'écran.

Nous sommes les images qui passent.

Le véritable bonheur, c'est une rose,

Deux pains de froment, trois amis,

Quatre chansons et cinq flacons de vin.

Un livre de vers sous la ramée,

Un pichet de vin, une miche de pain... et toi

A mes côtés chantant dans la solitude...

Et la solitude est à présent le paradis!

Que ce soit à Naishapur ou à Babylone,

Que la coupe soit douce ou amère,

Le vin de la vie continue de couler goutte à goutte,

Les feuilles de la vie continuent de tomber une à une.

Lève-toi, donne-moi du vin, est-ce le moment

des vaines paroles ?

Ce soir, ta petite bouche suffit à mes désirs.

Donne-moi du vin, rose comme tes joues...

Mes voeux de repentir sont aussi compliqués que tes boucles.

Tous les matins la rosée emperle les tulipes

Les violettes inclinent leurs têtes dans le jardin

En vérité rien qui ne me ravit comme le bouton de rose

Qui semble ramasser autour de lui sa tunique soyeuse.

Je bois du vin et quiconque boit comme moi en est digne.

Si je bois c’est chose bien légère devant Lui.

Dieu savait dès le premier jour que je boirais du vin.

Si je ne buvais pas la science de Dieu serait vaine.

Je ne suis pas homme à craindre le non-être

Cette moitié du destin me plaît mieux que l’autre moitié

C'est une vie qui me fut prêtée par Dieu

Je la rendrai quand il faudra la rendre.

La poésie est ici largement partagée et vraiment populaire. Tout le monde connaît des vers de Hafez, Sa’adi ou Fedowsi et toutes les chaînes de télévision organisent des jeux de poésie aux heures de grande écoute. Dans l’une les candidats doivent reprendre le dernier mot d’un poème pour en débuter un autre, d’autres poétisent sur les petits tracas du quotidien comme la mauvaise humeur des chauffeurs de taxi…

Non vraiment des gens comme ça ne peuvent faire partie de l’axe du mal…

Notre ami chauffeur de taxi poète et cyclo pour une semaine

Quel bonheur qu’un peu de poésie avant de remonter de nuit en bus vers Téhéran pour, nous l’espérons, notre troisième et dernière étape de notre chasse aux visas.

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