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Sur les hauts plateaux Kurdes

Après Erzurum, nous basculons vers le bassin versant d’un autre bras de l’Euphrate, le Murat. Et là, changement de décor.

Les salutations au bord des routes se font plus rares, les çay moins nombreux, les visages un peu plus fermés, nos interlocuteurs moins curieux et pour la première fois en Turquie des enfants nous demandent de l’argent. Pourquoi ce changement ? Nous passons dans la partie kurde de la Turquie et la frontière est nettement marquée. Dans les villages que nous traversons, la population est entièrement kurde. Dans les petites villes, les Turcs sont peu nombreux.

La frontière se devine d’abord aux postes de contrôles de gendarmerie sur les routes d’accès au pays Kurde : blindés, sacs de sable, mitraillette au point, ça ne plaisante pas. Il faut dire que les récents attentats du PKK à Diyarbakir où 7 policiers ont été tués rendent nerveuses les autorités.

Nous remontons une étroite vallée avec des gorges profondes et très découpées dans lesquelles l’érosion crée des formes fantomatiques. Au bout du premier col à 2300 mètres, nous débouchons sur un haut plateau. L’hiver a lancé ses dernières forces dans la bataille en saupoudrant les plus hauts sommets. Le temps est capricieux avec encore quelques averses de grêle mais la neige se retire, les températures remontent et le printemps émerge juste. L’hiver aura duré ici pas loin de 6 mois. Les moutons et les chèvres des montagnes anatoliennes ont fait place à d’immenses troupeaux de vaches multicolores qui profitent des premières herbes tendres. Les premières fleurs qui ressemblent à nos renoncules jaunes de montagne pointent le bout de leur nez dans le fond des ruisseaux. Les paysages sont magnifiques et donnent un avant goût de ce que peut être la Mongolie. Pas un arbre à l’horizon, de vastes étendues d’herbe, des ruisseaux qui drainent les dernières neiges.

Sur les hauts plateaux kurdes, l'hiver se termine juste, de grands troupeaux de vaches ont fait place aux chèvres et moutons d'Anatolie

Les villages sont nettement plus pauvres qu’en Anatolie. Les maisons sont basses, pour la plupart faites en pierre et en terre, le toit recouvert de terre pour lutter contre la rigueur des hivers. Les bâches bleues donnent des touches de couleur en recouvrant les tas de bouse séchée (combustible) , servant d'abri pour les tracteurs, ou en couvrant un toit.

Un village sur les hauts plateaux kurdes, pas un arbre à l'horizon. Des maisons en pierre recouvertes de terre pour se protéger du froid. Des bâches bleues pour recouvrir les briques de bouse séchée, faire un abri pour les bêtes ou protéger un toit.

Un soir, alors que nous cherchons un endroit pour camper, nous sommes invités par Mehmet, un grand gaillard, la soixantaine, à dormir dans sa ferme. Nous plantons la tente au milieu des vaches qui rentrent pour la traite. Sa femme nous apporte un délicieux pichet de lait bouilli tout juste tiré. Le lendemain matin, la première traite commence à 5h, puis les 18 bêtes sortent. La précieuse bouse est chargée et transportée à la brouette puis étendue en couche épaisse au soleil. Une fois sèche, elle sera découpée en briques et savamment montée sous forme de petites cabanes. Elle servira de combustible tout au long de l’année pour chauffer l’hiver et faire bouillir le lait. Après commence la fabrication du fromage avec ce lait tout juste tiré. Les journées sont longues pour ces familles d’éleveurs. Le ramassage scolaire part bien tôt dans ces montagnes pour aller à la ville située à une quarantaine de kilomètres. Nous rencontrons en journée de nombreux enfants gardant les vaches, de grands troupeaux de plus de cent têtes, rassemblant les bêtes de plusieurs familles. Pas d'école pour ces enfants ? Nous n'avions pas eu cette impression avant.

Distribution du sel aux vaches par la grand-mère. Mehmet, au petit matin sortant les vaches. Sa femme lancée dans la préparation du fromage après la première traite du jour.

Après la traite, les précieuses bouses sont étalées pour sécher au soleil. Elles seront ensuite découpées, montées en pyramide et serviront de combustible pendant l'hiver.

Alors que nous descendons vers Agri, la ville kurde la plus septentrionale, au détour d’un virage, nous découvrons le mont Ararat, Ağrı Dağı en Turc. Pas étonnant qu’il ait fait vibrer les imaginations. Il est tout simplement majestueux du haut de ses 5165 mètres avec sa haute couverture de neige, dominant royalement les sommets alentours. Nous le retrouverons à la frontière iranienne.

Rendons justice au pays Kurde, l’accueil à Agri est tout aussi chaleureux et les çay tout aussi nombreux. Nous croisons Ercan au « çay evi », la maison de thé. Immigré à Evry en Région parisienne comme de nombreux autres habitants de Agri, il vit 6 mois ici, 6 mois en France à travailler dans le bâtiment. Tout en souhaitant un maintien des régions kurdes dans la Turquie, il se plaint comme de nombreux autres Kurdes du faible investissement de l’Etat dans leurs régions, sous équipement hospitalier, moindre investissement routier, économique, éducatif, et du rejet de la langue kurde à l’école comme dans toutes les administrations.

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