Zone interdite, sécurité nucléaire
Après Hamadan, nous descendons doucement sur un large plateau agricole, un véritable grenier à blé pour l’Iran. A 2000 mètres d’altitude, il fait encore délicieusement bon et les derniers névés des montagnes alentour s’écoulent dans les ruisseaux qui apportent la vie. Le long des petites routes de campagne, les villages de brique de terre crue et d’adobe se succèdent. Les charpentes de peuplier font place à des coupoles de terre.
Ce samedi, toute la population fête le 5ème imam du chiisme. Les villages sont décorés, les gens sortent dans la rue, fleurissent des tables sur le pas de leur porte, nous offrent boissons et gâteaux et jettent de l’eau devant leur maison pour nous souhaiter bon voyage. La journée commence bien, même si nous n’avançons pas vite à force de boire et de manger.
Fête du 5ème imam, toute la population est dans la rue pour offrir boissons et gâteaux aux passants, voisins et voyageurs
Plus loin, une voiture de police nous suit, sans doute pour nous offrir des gâteaux ? Au croisement suivant, deux policiers en sortent, nous questionnent sur notre présence ici, prennent nos passeports et nous demandent de les suivre au poste. Sans doute encore un excès de zèle ou de curiosité.
En route vers le poste de gendarmerie derrière nos cerbères
Nous entrons dans la cour de la gendarmerie locale, allons dans un premier bureau, puis un deuxième et un troisième avec les sous-chefs et les chefs.
Commence un interrogatoire en règle avec nos quelques mots de farsi, de turc et leurs quelques mots d’anglais :
Que faites vous ici, par où êtes-vous passé, ou allez-vous, où avez-vous dormi, avec qui voyagez-vous ?
Puis des questions plus délicates
Que pensez-vous de la politique de l’Iran, et de Khomeiny, des relations entre la France et l’Iran, et des Etats-Unis ?
Ben euh… Iran, kheily kube (très bien) France, Iran, dust (amis)…
Voyagez-vous avec d’autres personnes ?
Bon, nous avons bien croisé Pierre, un ami français à Hamadan…
Au fil de la conversation, nous comprenons alors que nous nous trouvons dans une zone d’extraction et de traitement de l’uranium, strictement interdite aux étrangers. Et les Iraniens sont très très sensibles sur ce sujet délicat !
Arrive enfin un jeune officier parlant bien anglais, courtois mais l’interrogatoire continue.
Avez-vous téléphone, GPS, appareil photo, montrez-nous ça…
Nous visionnons toutes les photos de la carte. Villages en fêtes, visages souriants de nos hôtes, petites fleurs des bords de route et architecture locale. Nos sbires se mettent à sourire, pas de quoi fouetter un chat de la CIA…
Arrive le grand chef, tout le monde au garde à vous. L’air soupçonneux, la tension reprend. Il semble soucieux du respect des procédures, passe quelques coups de fils, nous réinterroge sur nos relations avec cet ami français.
Où est-il, quand l’avez-vous quitté, que fait-il, où a-t-il dormi hier ?
Nous l’avons quitté hier, nous n’avons pas de ses nouvelles.
Nous avons droit à une fouille de nos bagages, la sacoche de cuisine, les habits… Bon la tension se relâche.
Arrive un pick up bleu avec l’ami Pierre furibard, et Ali son hôte. Ils ont retrouvé sa trace. Il préparait tranquillement la fête de l’Imam avec la famille d’Ali quand il a vu débarquer la police. Rien à faire pour parlementer.
Nouvel interrogatoire, fouille, prise d’identité. Photo des étrangers mais pour une fois ça n’est pas pour rigoler sur « télégramme » le réseau social iranien.
Ils finissent par comprendre que nous sommes de braves cyclistes préférant les petites routes aux grandes et insoucieux des zones interdites non signalisées.
Suit la visite du jardin de la gendarmerie, les abricotiers, les pruniers, le poulailler (véridique !), de l’eau fraîche pour partir et les excuses du chef :
Vous comprenez, nous faisons notre travail, l’uranium est sensible en Iran. Mais vous êtes nos hôtes, bienvenue en Iran.
Nous avons quand même droit à une escorte sur les 20 km suivants pour vérifier que nous ne prenons aucune photo. De fait, nous passons à Khandab devant les installations de traitement de l’uranium et la défense des lieux est impressionnante : Batteries anti-aérienne, canons de 20 camouflés, sûr qu’ils redoutent les bombardements américains et israëliens…
La journée continue tranquille au milieu d’une belle vallée fertile. Le soir nous nous installons près d’une source. L’endroit est vert, calme, reposant. Comme c’est un jour férié, les familles sont de sortie pour pique-niquer et prendre le frais. Nous nous prêtons comme d’habitude en Iran à des séries de selfies - Il faut presque prendre son ticket ! Des étudiants, l’un part prochainement faire ses études en Autriche, c’est la gloire de la famille, une jeune fille timide, puis sa sœur et une autre et une copine... Une famille nous invite à prendre le thé et à discuter, ils sont toujours curieux de connaître notre avis sur l’Iran. Une autre, nous apporte une délicieuse soupe parfumée d’épices, de coriandre, de menthe et de citron. Ce soir là nous avons au moins trois invitations à dormir mais il est tard, la nuit est tombée et nous ne souhaitons pas reprendre la route pour plusieurs kilomètres. Nous finissons par dormir sous la tente dans cet endroit enchanteur, revenu au calme après le départ de tous ses visiteurs.
Soirée tranquille près d’une source. Après le défilé de selfies nous discutons avec une famille venue pique-niquer
Le lendemain, nous arrivons à Shazand, une petite ville. Dès le 1er rond point, première interpellation de policiers en civil, contrôle des papiers. Nous reprenons nos vélos, nouvelle interpellation par une voiture officielle cette fois, le grand chef débarque. C’est le début de matinée mais nous perdons un peu notre calme et leur faisons comprendre que ça commence à bien faire. Leurs collègues de Khandab leur ont sûrement demandé de vérifier que nous quittions les lieux. En tout état de cause, le passage de cyclistes ici ne doit pas être bien fréquent…