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Le Ta’ârof, la politesse à l’Iranienne

Tout au long de notre traversée de l’Iran, nous aurons été invités des centaines de fois. Certes les Iraniens sont curieux, accueillants, chaleureux et l’hospitalité fait partie des valeurs cardinales de l’islam mais quand même !

Nous sommes invités la main sur le cœur à venir manger à toute heure du jour, à prendre le thé, à rester dormir, nombre de commerçants refusent de nous voir payer. C’est surprenant au début, même après la Turquie.

Il nous faut un certain temps pour comprendre que beaucoup de ces invitations sont une pure forme de politesse iranienne, mais que nombre de nos hôtes ne tiennent pas forcément à nous inviter. Certains ont d’ailleurs peu les moyens de le faire. De fait, s’il est poli d’inviter, il est aussi poli de refuser. Difficile de s’y retrouver, comment comprendre une invitation de pure forme, d’une invitation réelle ? A coup sûr, refuser au moins deux ou trois fois permet de connaître la volonté réelle de votre interlocuteur, la gestuelle, le regard permet d’en savoir plus. Tel vous invite et vous dit au revoir dans la foulée.

Les commerçants, comme ici le boulanger refusent souvent de nous faire payer. Simple règle du Ta’ârof ou désir réel ? Il faut au moins trois refus pour s’en assurer…

Une fois invité, votre hôte se mettra en quatre pour satisfaire et même précéder vos moindres désirs. Le seul fait d’évoquer un souhait peut déclencher une tempête interne dans la maison pour trouver une solution. Vous êtes pris en charge mais vous ne vous appartenez plus. C’est une excellente façon de mieux connaître le pays et les soirées se prolongent mais c’est parfois fatigant et nous sommes obligés d’alterner avec quelques nuits réparatrices sous la tente.

Au fil des jours, nous en apprenons toujours un peu plus sur le Ta’ârof, un terme fârsi intraduisible qui désigne cette politesse à l’iranienne. Le ta’ârof fonctionne par allusions et par des phrases de pure forme, sans jamais révéler la volonté profonde de votre interlocuteur mais sans jamais non plus lui faire perdre la face. Une forme de politesse qui va bien avec la complexité et les paradoxes apparents de l’Iran, avec la césure très forte entre le monde intérieur de la famille et le monde public de l’extérieur, entre le dire et le faire. Dans la famille, il n’existe pas nous dit-on… mais on ne l’oublie pas comme ça et chacun de préciser entre proches si telle ou telle proposition est ou non du «Ta’ârof » et tous de préciser que le meilleur « Ta’ârof » est encore celui que l’on ne perçoit pas… trop de Ta’ârof tue le Ta’ârof…

Règles d’humilité du Ta’ârof, les hôtes réservent toujours la place la plus éloignée de la porte d’entrée aux invités

Le « na », non direct et franc est rare. Ils préfèrent employer une gestuelle bien particulière, l’avant-bras relevé, la paume tournée vers l’interlocuteur et un coup d’œil vers le haut et le côté, sourcils relevés, une façon de refuser sans avoir à dire non.

Les anthropologues qui ont étudié le sujet voient aussi dans cette pratique une forme de fiction de lien social permettant de protéger l’intériorité du sujet. L’islam chiite dégage une vision pessimiste sur la capacité des sociétés à devenir meilleure. Dans un contexte où la société idéale est impossible à faire advenir, autant en montrer au moins la meilleure image. Sur cette question, voir le passionnant article de Anne-Sophie Vivier-Muresan « le code de politesse iranien ou la fiction du lien social ».

Le beau-frère d’Amin qui nous accueille à Mashhad récuse le Ta’ârof et ne veut pas en entendre parler. Il y voit une politesse de façade surfaite, un mensonge continuel qui enferme l’hôte ou l’interlocuteur dans un filet de complexité. Pour le vivre de l’extérieur, même s’il peut s’agir d’une fiction, il nous semble que le Ta’ârof, même dans sa fonction de théâtre social est aussi une fiction auto-réalisatrice, comme la méthode coué. Il se traduit pour nous par une humilité qui n’est pas que feinte, une réelle générosité dans l’accueil, et surtout une attention à l’autre que nous aimerions retrouver dans nos sociétés pressées et indifférentes.

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