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Trafics dans le far-west chinois

Pour tous les branchés de la mobilité, voici en copie un petit article que nous publions sur le site du Club des Villes et Territoires Cyclables :

Nous voici arrivés en Chine. Un nouveau pays ou plutôt un nouveau continent, ou même une autre planète tant le choc est brutal après le calme des montagnes d’Asie centrale ! Nous sommes dans le Xinjiang, aux confins occidentaux du pays et n’avons pour l’instant traversé que des villes pas plus grosses qu’une tête d’épingle sur la carte de Chine, Korgas à la frontière, Yining une « petite » ville agricole, Korla, préfecture de district et Turpan, plus chaude et « latine » située dans une dépression à -150 mètre d’altitude. Il ne s’agit donc encore que d’une microscopique vision de la partie la plus occidentale de ce pays continent, après seulement une semaine de vélo tant en ville qu’en campagne, Plusieurs éléments sont pourtant déjà frappants :

Korla est passée en 5 ans de 2009 à 2012 de 0,4 à 1,3 millions d’habitants comme si Grenoble devenait Lyon en l’espace d’un mandat ! Dans la petite ville frontière de Gorlas, la croissance est tout aussi rapide et la ville est un vaste chantier avec des dizaines de tours de 20 à 40 étages en construction. Les défis urbanistiques de logement, de transport, d’eau et d’assainissement, d’infrastructures publiques de santé, d’éducation sont inimaginables mais rien n’a l’air d’effrayer ces Chinois. Ces évolutions urbanistiques se doublent de modifications importantes de la mobilité.

L’agglomération de Korla est passée de 2009 à 2012 de à,4 à 1,3 M d’habitants, un défi en terme de mobilité.

Le vélo est toujours présent dans les villes et campagnes traversées mais il ne représente plus qu’une portion congrue, en première approche, pas plus de 3 ou 4% de part modale. Il est beaucoup utilisé par les jeunes, notamment les collégiens, par les femmes et son utilisation est plus importante dans les déplacements périphériques des agglomérations, au sein des quartiers. Il s’agit le plus souvent de vélos basiques mono-vitesse à frein à rétropédalage avec une part très importante de vélos pliants mais aussi des VTT flambants neufs et quelques fixies pour les plus branchés.

Le vélo ne représente plus qu’une faible part modale, encore bien utilisé par les collégiens, pas mal de femmes… et les récupérateurs de plastique

Une forte utilisation de vélos pliants du fait notamment de conditions de stationnement pas très bonnes en habitat vertical

La voiture a aujourd’hui pris une place importante dans les déplacements urbains et inter-urbains avec un parc neuf très qualitatif par rapport à tous les autres pays traversés en Iran ou en Asie centrale. Les transports en commun urbains même dans la ville millionnaire de Korla font un peu parent pauvre, pas de voie dédiée, des fréquences et une densité de lignes relativement faibles, des interdistances entre stations élevées. Les grands gagnants de la lutte modale sont avant tout les deux et trois roues motorisés, majoritaires dans les villes (sans doute 40 à 50% des parts modales) et dominant (60 à 80%) dans les campagnes observées. Entre le vélo et la voiture, il existe une gamme extrêmement dense d’outils de mobilité en tous genres :

Le vélo électrique est clairement devenu le roi de la rue mais il s’agit d’un VAE qui n’a plus du vélo que les pédales. Pas de régulation de l’assistance liée au pédalage, un petit coup d’accélérateur et presque plus besoin de pédaler, avec une vitesse maximum légale de 30 km/h mais une vitesse observée plutôt autour de 25 km/h. Une lourde batterie au plomb (le VAE moyen pèse autour de 60 kg), des roues très petites de 16 pouces, un moteur de 300 à 600 W, un cadre bas mais allongé permettant d’avoir un petit siège arrière avec des repose-pieds, il est partout présent en ville comme en campagne.

Le VAE local très répandu n’a plus guère du vélo que les pédales

Le scooter électrique est également très répandu avec des niveaux de gamme assez différents du petit scooter à l’italienne au gros scooter des cadres parisiens. Mais tous ont en commun d’avoir une vitesse moyenne de progression faible (30 à 35 km/h) pour une vitesse maximum légale de 50 km/h et une capacité d’accélération limitée avec un moteur de 600 à 1000 W. Sans bruit et sans dépassement intempestif, ils sont très agréables dans le trafic. Deux femmes avec leurs enfants derrière nous doublent tranquillement en devisant, c’est doux et très fluide, sans doute beaucoup moins accidentogène. Le gros modèle de scooter électrique avec un siège long à l’arrière est beaucoup utilisé par les femmes pour accompagner les enfants, faire les courses, aller au travail.

Le scooter électrique (600 à 1000 W) très fortement utilisé par les femmes

Le tricycle électrique équipé d’une benne arrière courte ou allongée est extrêmement présent dans le trafic et transporte passagers, bêtes, veaux, vaches, moutons, pastèques, melons et matériel en tout genre. Il est l’outil principal du milieu rural, outil de livraison des marchés avec une vitesse moyenne faible, de 25 à 30 km/h. Certains tricycles sont spécialisés dans le transport de personnes avec deux banquettes face à face ou plus simplement les ridelles baissées sur les deux côtés permettant de transporter 4 à 6 personnes.

le tricycle, un outil de mobilité déterminant des agriculteurs et des artisans

Le tricycle électrique version transport familial

Les motos thermiques semblent en voie de diminution avec un parc plutôt vieillissant et plutôt limité aux campagnes. Nous n’avons pas repéré de deux roues thermiques de faible cylindrée (<125 cm3). Les cylindrées moyennes (125<250 cm3) circulent en ville à faible vitesse (<35/40 km/h), ce qui les rend compatible avec la circulation sur aménagements cyclables.

Une part non négligeable de moyennes cylindrées, surtout en milieu rural. Des conditions de transport des passagers parfois limites mais avec des vitesses le plus souvent faibles

Les tricycles thermiques de plus forte cylindrée (>250 cm3) servent surtout en milieu rural au transport des charges plus lourdes, notamment des vaches ou des chevaux, généralement à des vitesses aussi relativement faibles (<35/40 km/h).

Le tricycle thermique de plus grosse puissance (>250 cm3) est surtout utilisé en campagne pour des transports plus lourds

La composition du parc varie sensiblement selon les lieux. Le VAE est plus présent dans la plus grande ville de Korla alors que le scooter est très majoritaire à Turfan à majorité Ouïgoure et plus « latine ».

Le succès des deux et trois roues électriques tient aussi beaucoup à leur prix attractifs, autour de 1200 yuans (170 €) pour un VAE, 2400 (340 €) pour un scooter, ce qui représente respectivement moins d’un demi et d’un mois de salaire pour un instituteur du Xinjiang (3000 yuans 420 €).

Les deux et trois roues sont autant utilisés par les femmes que par les hommes. Les femmes préfèrent plutôt les gros scooters électriques que les cylindrées thermiques moyennes. Les personnes âgées sont plus nombreuses à conduire des scooters. Qu’elles semblent fières ces femmes d’âge mûr avec un beau châle dans les cheveux au guidon de leur tricycle avec pastèques et petits enfants dans la benne…

Une utilisation très féminine des gros scooters électriques à vitesse plutôt limitée (30 km/h). Ici sur un axe de niveau 2 équipé de bandes cyclables

Un taux d’occupation élevé des 2 et 3 roues

C’est un élément vraiment marquant, le taux d’occupation de l’ensemble des catégories de deux et trois roues est très élevé avec souvent un, deux, voire trois passagers. Comme noté plus haut, les vélos à assistance électrique sont presque tous dotés d’un siège bas bien adapté pour les enfants mais aussi utilisé par des adultes. Un siège pour petits enfants est parfois installé entre les jambes du conducteur. Sur les scooters, le siège long permet de transporter 2 ou 3 personnes et la plateforme avant de mettre un enfant debout, mains sur le guidon. De fait, vélos électriques, scooters et tricycles sont très fréquemment utilisés pour l’accompagnement des enfants.

Les petits devant sur un siège, les plus grands sur le siège arrière du VAE

Le siège arrière va aussi pour les grands

Le vol semble peu fréquent. Aucun arceau n’est présent dans l’espace public pour attacher les deux roues et les antivols relativement rares et de piètre qualité. La plupart des vélos sont stationnés en bas des immeubles sans protection particulière.

Les conditions de stationnement ne sont cependant pas très bonnes ni en habitat vertical (stationnement dehors en pied d’immeuble) comme dans l’espace public (très peu d’arceaux). De fait l’espace de stationnement des deux roues est souvent pris sur l’espace piéton.

Un espace de stationnement des 2 roues trop souvent pris sur l’espace piéton

Le casque n’est jamais porté, ni à vélo ni en scooter, ni en tricycle, faiblement par les conducteurs de deux roues thermiques de moyenne cylindrée. Il l’est en revanche beaucoup plus sur les motos de forte cylindrée.

De larges pistes de 5 mètres où cohabitent 2 et 3 roues motorisés ou non

Compte tenu de l’importance des deux et trois roues dans le trafic, ils font l’objet d’aménagements spécifiques le plus souvent de qualité. Le principe général est la cohabitation entre deux roues, motorisés ou non à l’exception des grosses cylindrées, à faible vitesse (< 30 km/h). Les voies artérielles à 2x3 ou 2x4 voies sont traitées avec une large piste de 4 à 5 mètres de large de chaque côté des axes, conçues comme des pistes mono-directionnelles mais utilisées de façon bi-directionnelles. Un espace arboré apportant une ombre vraiment agréable en été, sépare la piste de l’axe réservé aux voitures. Une allée piétonne spécifique est aménagée à droite de la piste et également séparée d’un espace arboré.

Sur les grands axes, de larges voies ombragées de 4 à 5 m de chaque côté de l’axe, réservées aux 2 et 3 roues circulant à vitesse modérées (<30 km/h observé), très agréables et efficaces.

Des carrefours à feux très larges avec des sas avancés pour les 2 et 3 roues

Avec un urbanisme très dense (20000 hab/km2 en moyenne) sans habitat pavillonnaire, constitué de blocs d’habitat vertical (20 à 40 étages) de très grande surface (carrés de 0,8 à 1 km de côté) et faiblement traversables, la densité viaire reste faible et limite le nombre d’intersections. Finis ou en voie de disparition les quartiers traditionnels ouïgours à l’habitat bas et au très dense réseau de venelles. Les carrefours sont ici traités à feux, avec des cycles à 4 temps le plus souvent très courts (30 à 40 secondes) et des temps de dégagement très limités. Les tourne à gauche sont traités à l’indonésienne (les flux tournants à gauche se font en face à face et non en giration par l’arrière). La principale limite en terme de sécurité tient aux rayons de giration très larges pouvant provoquer des vitesses de giration élevées mais cela ne semble pas être le cas et aux temps de dégagement très courts pour des cyclistes un peu lents. Les deux et trois roues bénéficient en revanche de sas très avancés dans le carrefour, une dizaine de mètres devant la ligne de feux, après la voie de tourne à droite, permettant une très bonne visibilité des deux roues au redémarrage. Aux intersections des pistes avec des voies adjacentes ou des sorties de blocs, la priorité de la voie 2 et 3 roues est généralement respectée du fait du volume important de circulation sur les voies réservées.

Des sas très avancés dans les intersections à feux. Une très bonne solution de visibilité pour les 2 et 3 roues

Les axes de moindre importance 2x2 voies sont traités avec une bande cyclable de 1,5 à 2 mètres. Elles souffrent comme en France du stationnement sauvage des voitures. En inter-urbain, tous les axes routiers récents sont traités avec des bandes multifonctionnelles, indispensables vu le niveau de trafic à 2 et 3 roues mais aussi le passage de tracteurs, de troupeaux, de chevaux dans les campagnes.

Sur les rues à 2x1 voie internes aux quartiers ou dans les villages, aucun aménagement spécifique n’est généralement réalisé.

En inter-urbain, de larges bandes multifonctionnelles de 1,5 à 2 mètres assurent un bon niveau de sécurité

Une vitesse faible des 2 et 3 roues motorisés, la clé de la cohabitation

Ces larges espaces où cohabitent tous les types de deux ou trois roues permettent de traverser les villes à vélo de part en part de façon sûre et plaisante. La principale clé reste la vitesse limitée des deux roues motorisés pour assurer une cohabitation harmonieuse.

Comme indiqué plus haut la vitesse moyenne observée est plus faible que la vitesse maximale autorisée (30 km/h pour le VAE, 50 km/h pour le scooter électrique).

La culture du contrôle de vitesse est ici largement partagée. En interurbain des portiques de contrôle automatique régulièrement implantés (le plus souvent tous les 30 km) permet un contrôle de vitesse instantané mais aussi de vitesse moyenne. De fait, les dépassements importants de vitesse sont rares.

Les portiques de contrôle de vitesse moyenne tous les 30 km sur les grands axes en inter-urbain très répandus

En urbain, la densité importante de 2 et 3 roues limite physiquement les vitesses trop élevées. Des habitants des grandes villes de l’ouest nous rapportent cependant que les cas de dépassement de vitesse et les accélérations intempestives sont plus élevés dans les grandes villes de l’est du pays, nous aurons l’occasion de le vérifier plus tard.

Une accidentalité relativement limitée des deux et trois roues

Il est difficile de porter un jugement sur la validité des statistiques chinoises d’accidentalité sur la route (les chiffres communiqués par l’ONU seraient sensiblement plus élevés) mais si le nombre d’accidents mortels de la route par an est de 100.000 soit 7,5 pour 1M d’habitants (contre 5 en France) en 2014, la part des tués en 2 et 3 roues est de 31% soit un chiffre comparable à la France alors même que sa part dans le trafic est considérablement plus élevée en Chine (pas de donnée officielle mais très certainement entre 30 et 50%) qu’en France (1%).

Des coupures urbaines et surfaciques rendant la marche plus difficile

La situation est en revanche nettement plus difficile pour les piétons. Ils bénéficient certes d’espaces confortables sur les grands axes, avec un traitement systématique par bandes podo-tactiles pour les mal-voyants mais les coupures urbaines rendent la marche compliquée. Les coupures sont axiales, les grands axes étant infranchissables avec des barrières hautes et des inter-distances de traversées souvent supérieures à 500 mètres et surfaciques, les blocs d’urbanisation étant le plus souvent infranchissables sur des carrés de 0,8 à 1 km. Les plus importantes intersections en partie centrale sont traitées par des passages dénivelés larges mais très handicapants pour les personnes à mobilité réduite. Dans les carrefours à feux traités à niveaux, les temps de dégagement piétons sont très courts. Ces difficultés expliquent sans doute en partie l’intérêt du vélo électrique qui permet de couvrir des distances rendues trop longues à pied.

Des grands boulevards à 2x3 ou 4 voies infranchissables pour les piétons avec des points de passages souvent très éloignés

Autre point noir pour les piétons, l’espace de stationnement VL est le plus souvent implanté entre l’allée piétonne et le front bâti ou les commerces. Les piétons doivent naviguer entre les voitures en stationnement pour accéder à destination.

Quels enseignements pour nos villes françaises ?

La très forte proportion des 2 ou 3 roues est commune à l’Asie du Sud-est mais les spécificités que nous avons rencontrées dans le Xinjiang sont à la fois le très fort taux d’électrification et les vitesses moyennes réduites.

Trois choses nous paraissent importantes à retenir de ces premiers exemples dans les réflexions menées en France :

  1. Des 2 et 3 roues électriques, dans une gamme très large, devenus du moins majoritaires au moins très importants dans le trafic tant en urbain qu’en inter-urbain. S’agit-il juste d’une période de transition vers un usage généralisé de la voiture avec la croissance économique où est-ce une situation durable ? Difficile d’y répondre mais cette large gamme de solutions essentiellement électrique où prédomine le VAE pourrait être pertinente dans nombre de villes françaises. La croissance du VAE, des « speed pedelecs » du scooter électrique et des petits véhicules de livraison va sans doute bien dans ce sens mais le potentiel de croissance, pour des questions d’efficacité de mobilité, d’occupation de l’espace et de consommation d’énergie.

  1. La faible vitesse observée des 2 et 3 roues motorisés (30 km/h) est sans doute la clé majeure pour permettre une cohabitation harmonieuse sur des aménagements communs relativement larges et surtout pour rendre possible son développement. Les deux roues motorisés sont une sorte de tabou de la mobilité en France, aucune collectivité ne cherche à les développer compte tenu des nuisances sonores qu’elles représentent et de leur sur-accidentalité considérable (30 x plus que la voiture, 10 x plus que le vélo par déplacement). Avec des vitesses et des capacités d’accélération limitées, la question du deux roues motorisé électrique devient totalement différente. Elle permet ici de toucher un public beaucoup plus large, femmes, jeunes, personnes âgées en tricycle. Il y a également une piste de réflexion pour raisonner moins en vitesse limitée à des véhicules qu’en vitesse limitée à des espaces. Pourquoi ne pas autoriser des deux roues motorisés électriques à vitesse faible sur des bandes, pistes ou même sacrilège sur des voies vertes (les groupes de cyclistes sportifs à plus de 40 km/h sur ces espaces posent sans doute plus de problèmes de sécurité) ? Cette limitation pourrait avoir pour effet de diminuer aussi la très forte accidentalité des deux roues motorisés observée en France et largement imputable à la vitesse. Elle exige néanmoins des solutions de contrôle des vitesses plus fortement généralisés et des changements majeurs de comportement. Certaines villes de Chine visiblement y parviennent…

  1. Le taux d’occupation des deux roues. Le deux roues est considéré chez nous comme un outil de mobilité individuelle. Il est ici dans le Xinjiang d’abord un outil de mobilité à plusieurs. Outre la diminution de la vitesse, la conception même du deux roues, avec un centre de gravité plus bas, un siège plus solide et plus confortable pour le passager arrière, notamment pour un enfant serait à repenser dans cet objectif.

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